ACTION
Si le « droit à la parole » est théoriquement acquis, le droit à l’expression de nos convictions et désirs par la libre action, n’est pas du tout évident. On se heurte tout de suite aux désirs des AUTRES – il est vrai que, dans nos sociétés occidentales, tout ce qui n’est pas interdit est admis, néanmoins le nombre de règles et d’interdictions qui réduisent la liberté des uns pour protéger les autres, est énorme. Même si nous trouvons une niche de liberté d’actions, il nous faut avoir les moyens matériels, intellectuels, imaginaires mais aussi énergétiques, c’est à dire avoir une force vitale.
Les compromis qui viennent en vue de garantir la vie communautaire paisible vont tellement loin qu’ils réduisent à « peau de chagrin » notre liberté. Au point qu’il est justifié de rêver vivre sa vie dans un désert humain.
François Cassard, syndicaliste et inspecteur du travail formule ainsi la contrainte que la vie sociale impose :
«La liberté, à peine on y a goûté une fois qu’on ne peut plus la rattraper, la re-posséder. Le combat entre soi et soi-même contre les contraintes que l’on se pose, que l’on subit. Dès qu’on le comprend, qu’on trouve l’échappée pour se réaliser, on butte contre les autres et leurs libertés. »
Liberté – ses circonstances
Il ne faut pas que j’évite de parler des évidences qui ont l’influence primordiale sur notre liberté et que je continue à énumérer : l’espace, le temps et la santé. Sinon à quoi sert d’écrire sans que tout soit dit.
L’ESPACE – c’est la circonstance à l’intérieur de laquelle les gens vivent et voient se réaliser ou anéantir leur liberté.
C’est de là que vient l’importance pour la liberté de chacun d’entre nous d’avoir la possibilité de « bouger, se déplacer, circuler, voyager, partir… » Ce que m’a dit Mike Deschamps en ajoutant tout naturellement encore « Moi, et pourquoi pas les autres ? » Confrontée personnellement à la situation des Palestiniens, elle a senti que sa liberté ne peut pas être entière, si les autres voient la sienne ternie par les restrictions policières voire militaires.
Moi, Polonaise, je connais bien ce sentiment de colère qui monte, qui m’aveugle à l’intérieur de moi à cause du collier de chien qui m’accroche à un espace donné, soit-il le plus aimé possible, cela ne change rien, le chien est attaché !
Ainsi les chaussures sont restées un des éléments les plus importants de ma garde-robe même après plus d’un demi-siècle, parce que leur manque était une raison de ne pas pouvoir sortir dehors durant deux longs hivers (mes pieds avaient trop vite grandi). Une anecdote mineure, je l’admets, mais avec ce détail, chacun peut retrouver un nombre innombrable de situations mineures où la conquête de l’espace devient très importante.
Voilà ce que dit Hannah Arendt « … avant de devenir un attribut de la pensée ou une qualité de la volonté, la liberté a été comprise comme le statut de l’homme libre, qui lui permettait de se déplacer, de sortir de son foyer, d’aller dans le monde et de rencontrer d’autres gens en actes et en paroles. »
La chance ou la malchance d’être né dans tel lieu du globe, à telle longitude terrestre, sous des sapins ou des palmiers décide à notre place, pour une grande partie, de la possibilité de se déplacer librement.
Ces dernières années ce sont des millions de gens qui sont obligés de choisir entre le risque de mourir de faim, noyés, sous les gravats ou fusillés mais pas entre une vie ici ou ailleurs. Cet ailleurs étant interdit par des usurpateurs qui possèdent l’espace de la terre.
LE TEMPS – il nous faut en avoir beaucoup pour réaliser tous nos nombreux désirs. L’animatrice du Centre Culturel de Borkowice, Grażyna Kołazińska parle même de la servitude :
Notre folie actuelle d’avoir toujours plus : de matière, de savoir, de plaisirs, de sensations… impose un tempo infernal à notre vie et prend la place de la liberté. Nous courons pour gagner plus d’argent afin de couvrir ces frais.
La conséquence, c’est que nous tous, nous souffrons terriblement du manque de temps.
Je répète : Il ne faut pas que j’évite de parler des évidences parce que, tôt ou tard, elles vont vouloir être énumérées. Je continue donc d’en parler.
Nous tous, nous sommes conscients que notre liberté est restreinte par la nature même de notre espèce. Nous avons des besoins primaires de nourriture, de sommeil, de soins pour notre corps et d’un toit au-dessus de la tête en plus. Justement une grande partie du temps de notre vie est consacré à les satisfaire.
Oh, combien le temps est important ! Ne serait-ce que par le temps qui nous est donné à vivre, notre liberté d’action est plus ou moins grande. Moi-même, je cours pour arriver à être vraiment libre. Est-ce que je m’accomplirai ainsi ?
Voici aussi le constat fait par Fanny Mazure :
« La liberté est peut-être la distance qui nous sépare de notre mort… »
LA SANTÉ – Plusieurs personnes (Danuta Skalska, Justyna Kwiecien, Bozena Wisniewska…) parlent de la santé pour dire qu’elle peut mettre en cause leur liberté en abrégeant leur temps de vie.
Peut-on parler de liberté si nous sommes obligés de constater que la force du corps, l’énergie, l’intelligence et la santé nous sont données à la naissance grâce aux hasards de la vie. Nous avons très peu de possibilités d’améliorer ces données de départ.
De plus, les étapes de la vie : l’enfance, la jeunesse…l’âge mûr, la vieillesse apportent des restrictions et des privilèges différents. Nous passons d’une étape à l’autre sans avoir la conscience de ce que nous perdons et de ce que nous gagnons.
L’espace et le temps constituent le cadre dans lequel, obligatoirement, nous vivons, mais tous les deux ne dépendent pas toujours de nous ou de notre choix. Le pouvoir sur ces éléments peut être la pratique et le ressenti de la liberté.
« Quand la liberté n’est pas libre, la liberté n’est pas vraie. » Jacques Prévert
Le choix conscient et les valeurs –
Peut-on parler de choix conscient ?
Nous exigeons la liberté pour l’auto-réalisation basée sur notre propre conscience.
Alors nous ne pouvons pas oublier qu’elle va dépendre:
– de notre capacité de se connaître soi-même et de connaître le monde qui nous entoure pour pouvoir choisir notre route de façon intelligente et adéquate
– de notre effort important et de notre énergie constamment fournis
– enfin de la force de notre volonté, de notre résistance devant les difficultés.
Même si elle nous semble remplir ces conditions, la perception de soi est difficile à tel point que nous attendons des autres qu’ils nous désignent, nous confirment, nous assurent quant à nos qualités personnelles, à l’importance de notre existence et à la forme que nous lui donnons.
Il nous faut avoir confiance en notre propre conscience qui est pourtant le fruit du hasard par rapport à l’endroit où nous sommes nés, au sein de quelle culture spécifique et à quel moment de son histoire. Ces circonstances nous aveuglent souvent totalement.
Il faut souligner notre nécessité humaine de mener la vie dans tel ou tel autre groupement humain – habitants d’une ville, d’un village, dans une classe sociale ou une autre, dans une nation ou une collectivité.
La possibilité de choisir notre place dans les différentes formes d’organisation des hommes et des femmes que nous côtoyons dans notre vie de tous les jours n’est pas évidente, si ce n’est totalement illusoire.
Cela implique les questions :
1.quelles sont exactement les formes et les structures organisationnelles de la vie dans la communauté humaine qui est la nôtre ?
2.quelles sont ses lois, coutumes, symboles, croyances, préjugés… voire même superstitions et quel espace nous laissent-ils pour notre propre choix ?
Peu de personnes ont mis en regard leur propre liberté dans le contexte de structure d’État. Il faut mentionner ici Eric et Danielle Bernard qui parlent du droit au mariage pour des déficients mentaux:
« C’est d’avoir eu le droit de me marier avec Danielle, c’est la reconnaissance de mon couple grâce à la loi de 2002*.»
Il était étonnant pour moi, ainsi que pour les lycéens français, que dans ce pays où, il y a plus de 200 ans en arrière, on a établi, par la loi, l’égalité pour tous ( le 3 novembre 1789) et que cette loi soit arrivée aussi tard.
Il me vient à l’esprit la question : quand cela serait-il possible partout en Europe?
De même quand est-ce que partout sur ce continent toutes les femmes pourront exprimer leur joie de même façon que Laurence Mundler :
« Je suis une femme née en Occident, peu avant la libéralisation de l’avortement. J’ai cette chance là, d’être née ici au bon moment. J’éprouve une énorme admiration pour celles et ceux qui se sont battus pour notre liberté. Je crois que c’est avant tout une notion qu’on m’a inculquée, distillée, instillée : notion, sentiment, capacité à vivre la liberté. C’est terrible pour les enchaînés, d’une façon ou d’une autre de dire des choses pareilles. »
En revanche, Jean-Yves Boissière, (militant ouvrier et membre du Comité Parisien de Solidarité avec le syndicat polonais « Solidarnosc ») déclare que :
C’est une opinion minoritaire? Pas sûr!
Dans ce contexte, il faut se souvenir du paragraphe des Constituantes : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme. Tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement sauf – répondre de l’abus de cette liberté dans les cas prévus par la loi. La liberté de la presse c’est le droit pour n’importe qui d’écrire n’importe quoi, n’importe comment sur n’importe quel sujet. Restreignez ce droit en limitant l’une, la liberté de la presse est compromise. »
(Article adopté en août 1789 pendant la révolution française)
Dans notre conscience mutuelle, elle est la pierre angulaire du monument construit jadis en France pour la liberté politique.
Hannah Arendt parle ainsi de la politique :
« La raison d’être de la politique est la liberté et ses champs d’expérience sont l’action. L’action et la politique, parmi toutes les capacités et possibilités de la vie humaine, sont les seules choses dont nous ne pourrions même pas avoir l’idée sans présumer, au moins, que la liberté existe et nous ne pouvons pas toucher à une seule question politique sans mettre le doigt sur une question où la liberté humaine est en jeu. »
Pourtant, elle est encore actuelle, la question : quelles seront les conséquences pour nous si jamais notre comportement en action ou en parole met en cause une des coutumes ou des règles de notre société? A quel niveau de risque, serons-nous confrontés si nos paroles et nos agissements – expressions de notre libre choix – troublent les règles existantes? Risquons-nous seulement d’être exclus de la communauté ou allons-nous recevoir des coups plus ou moins douloureux ? L’histoire ancienne et actuelle nous fournit des exemples souvent terrifiants. Quelle force et quel courage devrons-nous avoir pour assumer notre choix libre et conscient ?
Zbigniew Bujak (Président de la Commission exécutive du syndicat Solidarność en Pologne) sait de quoi il parle : parce que lors de l’Etat de siège en Pologne avant d’avoir été arrêté à cause de ses activités syndicales, il été obligé de vivre quatre ans dans la clandestinité.
« La liberté « contre » le tyran et la tyrannie est simple, de même qu’il est facile de se libérer de la peur de la police secrète et de sa surveillance, de ses perquisitions. Il est très difficile de gagner la liberté « vers » le droit à une vie normale. Immédiatement, les législateurs s’en prennent à nous, les citoyens. Ils créent des milliers de règlements. « Nos gouvernements » créent les impôts pour nous garantir la sécurité et notre droit au bonheur. En échange, avec une grâce royale, ils attendent nos voix aux élections suivantes.
En 2012, on a constaté en Pologne 5791 suicides. Alors qu’est-ce que l’esclavage ? »
Convictions, croyances, préjugés, superstitions
« C’était une association du genre humain. Il y avait une espèce de droit d’hospitalité entre les dieux comme entre les hommes. Un étranger arrivait-t-il dans une ville, il commençait par adorer les dieux du pays /…/ Les Grecs, par exemple, quelques religieux qu’ils fussent, trouvaient bon que les épicuriens niassent la providence et l’existence de l’âme. On ne parle pas des autres sectes qui, toutes, blessaient les idées saines qu’on doit avoir de l’être créateur et qui, toutes, étaient tolérées. » François-Marie-Arouet Voltaire
Je souhaite à moi et à mes amis polonais et français que Voltaire puisse décrire la tolérance de ces deux pays de même façon qu’il l’a décrite chez les Grecs. Malheureusement, dans notre vie, par le poids des croyances, préjugés et coutumes des populations qui vivent avec nous dans ces deux pays, nous rencontrons ici et là des restrictions de la liberté.
En Occident, le plus souvent, ces traditions sont défendues, pas tellement par la force du pouvoir politique mais par l’ostracisme. La confrontation avec elles exige parfois beaucoup du courage. C’est ainsi qu’Aleksandra Jędrykiewicz (lycéenne) nomme la liberté :
« La liberté c’est le courage de refuser à se soumettre aux principes qui ne sont pas conformes aux nôtres. »
Justement, le courage ! Il l’a montré, Jacek Czaputowicz (Prof. d’Université de Varsovie, coopérateur de KOR) En 1985, lors de l’Etat de siège, il a été l’un des créateurs du mouvement La Liberté et la Paix (WIP) qui proclamait l’objection de conscience. Voilà les convictions d’un de ses représentants en Pologne, dans ce pays où la lutte armée pour l’indépendance de pays est sacrée :
« Il faut lutter pour la liberté. La base de la liberté est constituée par la vérité. S’enfuir devant la vérité, c’est abandonner la liberté. »
Dans ce pays marqué, dans son histoire, par les insurrections armées contre des envahisseurs, il prenait le risque pas seulement de répressions de la part du pouvoir politique, mais aussi de l’ostracisme social. Il faut peut être aussi se demander si les gens qui nous entourent cherchent la vérité et s’ils ont les mêmes convictions que nous.
De cette confrontation avec les opinions des autres, parle Jean-Louis Panné :
« Selon moi, la liberté n’a de valeur réelle qu’associée au sens de la responsabilité envers les autres personnes et envers soi-même. À l’arrière-plan de la question « liberté versus contraintes », c’est la conception de l’homme qui est en jeu : est-ce un individu doué d’intelligence qui réfléchit à sa condition d’être humain, en qui il est possible d’avoir confiance ? Si l’on pense qu’il n’est qu’un animal, jouet des circonstances, cet être-là devient une limitation, une contrainte envers mon propre exercice de la liberté, Mais ai-je le droit de le juger ? Pour dépasser l’obstacle, la recherche de la liberté doit se conjuguer avec la recherche de la vérité. C’est elle, la vérité, qui rend vraiment libre. Sans illusion. Car même avec une conscience aigüe du désir de liberté qui vous anime, la vie vous réserve des surprises et des découvertes qui en font la richesse – elle redistribue sans cesse les cartes. »
Cette longue citation s’explique par l’importance de propos parce qu’il me semble que les questions que pose Jean-Louis et les réponses qu’il donne sont très importantes. Elles peuvent nous guider dans nos choix et prises des décisions devant des personnes qui nous entourent et des situations concrètes. Comment faire autrement si nous vivons à proximité des personnes qui se laissent aller, poussées par des circonstances totalement hasardeuses ou basent leurs choix dans la vie sur des critères opposés aux nôtres ?
Les nombreux témoignages montrent à quel point sont importantes les attitudes des autres. Bien des personnes interrogées sur leurs convictions, croyances et préjugés le disent :
« On est véritablement libre si on vit selon le décalogue. Il impose certaines règles, mais il ne fait pas de l’homme un esclave. » Danuta Jadczak-Kosińska, l’ingénieure, coopératrice de la Radio clandestine « Solidarność».
Krystyna Strucka Pâwlikowska s’oppose fortement à cette conviction:
« En Pologne, l’église impose la pensée. Je suis agnostique, donc libre. De nature même, je suis libre. Je peux aller où je veux. Je prends ma béquille, je mets mon chapeau et je me mets en route pour ramasser des fleurs sur la prairie qui entoure notre maison de retraite. » Krystyna Srtucka – Pawlikowska (retraitée)
Et Stefania Siudek (zootechnicienne) dans sa pratique religieuse voit sa liberté se réaliser:
« Quand j’étais jeune, je tenais dans mes bras le monde entier. Le parfum de la liberté était partout! Même le lieu du travail imposé par l’état aux confins du pays sentait bon. J’y ai travaillé comme zootechnicienne et j’ai été reconnue. Le chef m’incitait à m’inscrire au parti communiste. J’ai refusé. Je lui ai dit que, bien que ma foi religieuse soit faible, je ne voulais pas la pratiquer dans les coulisses. On bâtissait le socialisme et qu’est-ce que c’est devenu? »
« La femme qui marche », Marie Colombo pense pouvoir atteindre la liberté mettant en doute ses certitude:
« Se libérer tant que faire se peut de ses croyances, de ses certitudes peut amener la femme/l’homme à savourer le goût d’une certaine liberté. Je me sens libre quand je me détermine et que j’agis… Savoir dire oui ou non aux situations, à l’autre, aux autres. » Marie-Jeanne Collombo – « la femme qui marche. »
Les croyances ou bien les convictions des dames citées plus haut semblent être tellement contradictoires que, seulement, la foi en l’esprit de la pensée de Voltaire peut garantir leur cohabitation pacifique. Sinon nous nous soumettons à l’idéalisme de ce jeune lycéen polonais Piotr Podsiadlo:
Liberté /Contrainte – frontières impossibles
On peut constater, que la liberté et la contrainte apparaissent sous des formes différentes presque aussi nombreuses que le nombre de personnes interrogées. Certaines de ces formes, en l’occurrence, la liberté de parole et de faire librement des choix dans sa vie, sont considérées par tout le monde comme indispensables pour vivre en liberté.
Si on croit aux témoignages récoltés parmi elles, il semble évident que la liberté est liée de façon inséparable à la contrainte. Ne serait-ce que par le fait, que la liberté des uns restreint la liberté des autres.
Sans risquer de se tromper, on peut dire que toutes les deux font naître en nous les sentiments aussi forts et contradictoires que l’importance et le sens qu’ils représentent pour nous. Je ne sais pas quelles était les sentiments de Yan Crouhennec (artiste et performer) quand, à sa demande, je l’ai photographié plongé tout nu dans le ruisseau d’un printemps qui tardait à venir. Sa constatation que « La liberté est un sentiment, elle est intérieure. » me semble exacte.
Elle est confirmée par Zbyszek Janas (président du syndicat « Solidarność » à l’usine URSUS/…/)
« J’associe le mot «liberté» à la joie. La joie de m’exprimer, de dire ma vérité aux représentants du pouvoir : au proviseur du lycée, au directeur de l’usine URSUS /…/ Je ressens de la joie, parce que j’ai pu vivre le temps de la démocratie dans la Pologne libre. Quels que soient les problèmes avec cet l’Etat, les controverses ou les disputes publiques, je vis la joie de cette liberté et du fait que j’ai contribué moi-même à cette réussite. »
Mais, pour certaines personnes, les rêves provoquent leurs actions. C’est ce qui a eu lieu chez Zbyszek et ses collègues d’usine qui n’ont pas seulement rêvé de la liberté mais se sont révoltés et, ainsi, ont créé la liberté pour tout un pays. Oui, prenant le risque de la prison, par la révolte, ils ont montré leur courage par des actions politiques. On peut donc dire que, dans circonstances, la liberté exige du courage et apporte de la joie.
En même temps, il me semble que Yan Crouhennec se contredit quand il constate
« L’idée de liberté est une illusion, c’est une construction mentale qui nous sépare du réel et nous enferme en nous-mêmes. »
Parce que, si la liberté est un sentiment – comme il l’a dit dans la phrase citée plus haut, elle existe comme tel, ou alors, c’est un rêve comme le dit Michal Komar (auteur de pièces de théâtre, critique et journaliste) :
La liberté – comment l’atteindre?
Mon besoin de liberté j’ai comblé par une organisation de ma vie de telle façon que le fonctionnement social concernant ma famille et le travail « alimentaire » soient situés dans un autre laps de temps que celui qui me permettait de pratiquer la liberté sans avoir d’autres restrictions que celles qui se trouvent en moi – dans mon esprit et dans mon corps. Cela a été et est toujours mon « ordonnance « pour pouvoir donner du sens au monde qui m’entoure et, en effet, de créer des petites bouées de liberté et de joies de vivre.
Sur la base de témoignages collectés dans les deux pays, il apparaît la conclusion que, pour pratiquer et créer sa liberté, il faut avoir le choix de l’ensemble humain dans lequel on passera notre vie. Celui-ci devrait garantir :
1-liberté du corps et de la matière
2-liberté intellectuelle
3-liberté politique
4-liberté d’esprit
–La liberté du corps et de la matière je comprends ici comme nécessité primaire d’assurer nos besoins vitaux. Elle est la condition évidente pour vivre la liberté.
–La liberté intellectuelle, c’est la possibilité d’atteindre la connaissance du monde de façon libre et indépendante et avoir la possibilité de lui donner la signification personnelle par la parole et l’action basées sur ses propres observations, ou bien sur les réflexions et conclusions des autres, reconnues par soi même.
–La liberté politique, comprise comme le pouvoir réel d’influencer les formes et l’organisation de structures sociales auxquelles on appartiendra.
–La la liberté d’esprit – malheureusement je ne suis pas capable de définir le sens profond de mot « esprit » et pour cela je laisse explication ceux qui savent et, d’accord, aux croyants à son existence.
Tous ces domaines sont absolument indispensables pour pouvoir se réaliser en liberté et pour certains, tout simplement pour survivre. Prenant en compte les nombreux points de vue exprimés lors de l’enquête, qui ont souligné les faiblesses de l’espèce humaine et la nécessité des compromis inévitables pour garantir la liberté des autres, notre possibilité d’atteindre la liberté absolue et permanente semble être une démarche très difficile.
En réalité, il s’agit ici de trouver l’équilibre entre la création de notre espace de liberté et la nécessité de faire des compromis qui, garantissant la liberté des autres, réduisent en même temps la nôtre.
Il est difficile de ne pas être d’accord avec Maciek Pałyska (maître dans le style de nage “le papillon”, jongleur des mots et de l’histoire du monde entier) :
« La liberté – apparaît et disparaît, comme sur ces images, où un beau mannequin regarde joyeusement mais dès qu’on l’observe sous un autre angle, elle cligne de l’œil. »
Il me semble que pour remplir les conditions de son apparition miraculeuse dans notre vie, nous-même devrions avoir l’énergie, l’intelligence et le courage de la pensée et du corps.
Nous tous, sommes soumis aux limites de l’espèce humaine et de nos capacités individuelles restreintes, constituant un mur entre nous et notre liberté.
Les limites semblent être infranchissables au point de mettre en doute l’existence même de la liberté. Mais cela ne change en rien l’intensité de notre désir de liberté chaque jour et à chaque moment de notre vie.
Ainsi en prenant en compte tous les obstacles qui mettent en doute l’existence même de la liberté, grâce aux efforts et à la ténacité de notre désir, nous sommes capables de l’atteindre ne serait-ce que dans telle ou telle autre forme, dans tel ou tel autre moment de la vie.
Avec une entière lucidité de ces contraintes, nous fournissons toujours des efforts pour trouver la liberté en sachant que certains seront vains.
Oh ! Quelle force et quel courage devrons-nous avoir pour assumer notre choix de vie conscient et libre?!
« L’histoire humaine n’est que l’histoire de l’asservissement qui fait des hommes, aussi bien oppresseurs qu’opprimés, le simple jouet des instruments de domination qu’ils ont fabriqués eux-mêmes, et ravale ainsi l’humanité vivante à être la chose des choses inertes.
/…/ Et pourtant, rien au monde ne peut empêcher l’homme de se sentir né pour la liberté. »
Simone Weil
Ouverture pour la réflexion à venir
En feuilletant des réponses obtenues et des prises de positions des philosophes, il me semblait intéressant de faire l’inventaire « des mots–sujets utilisés » dans des phrases qui exprimaient leurs convictions. Ces mots permettent à mon esprit de chercher des phrases qui peuvent exprimer la jungle difficilement franchissable des expériences de la liberté et de contrainte faites par des humains.
Des mots
Le corps –le sentiment – l’émotion –l’âme –l’action ––le rêve –le jeu –la solitude –l’anonymat –l’harmonie –la préfixation –l’ordre –le chaos –le savoir –l’impression – le pouvoir –la parole –le pouvoir –l’autre – les autres –la solidarité –l’obligation –le décalogue – l’illusion –la chimère –le manque –le mouvement –le destin –le choix –le moment –la création –la peur –la possibilité –l’enseignement – le droit –la vérité–…
Annexe – Angle d’observation
Quelle est la base de mes choix d’actions ces dernières années : mon désir de connaître le sens même du mot » liberté » et du mot « contrainte » à travers les expériences de mes contemporains.
Une question m’apparaît tout de suite : pourquoi justement cet intérêt pour ce sujet?
Mes souvenirs cachés quelque part dans un temps éloigné, au début des années cinquante ?
Inscrit dans mon esprit, ma mémoire, mon corps et mon imagination, le souvenir d’une salle d’un tribunal polonais où a lieu justement le procès « de son père », diront 2 sous-fifres du tribunal qui m’ont permis d’entrer. Mais non, c’est le procès stalinien de MON PAPA. Le procureur demande la peine capitale.
Il y a des bancs pour moi et le public, en face de lui, l’accusé. Il est debout, tout droit.
Un mouchoir blanc autour du cou remplace la cravate sur son vêtement gris de prisonnier.
Ce mouchoir, j’ai eu le droit de lui passer dans un colis contenant 300 grammes de gras de porc et deux oignons. Pour ce faire, l’administration de la prison m’a donné rendez-vous à 4 h du matin en décembre sur une place située entre les ruines du ghetto.
C’est un signal qu’il m’envoie. Le signal évident de son courage retrouvé, de sa
volonté à rester digne dans ce rôle absurde de résistant accusé de haute trahison.
Le procès durera des mois et des mois. Et soudain, Staline meurt. L’histoire avec un grand H le sauve de la mort promise. Tout simplement, il leur a manqué du temps pour l’assassiner. Mais il est possible aussi que ce ne soit pas seulement ce vieux souvenir mais la moitié de ma vie passée sous le régime totalitaire modéré qui me pousse depuis 10 ans à interroger des personnes tantôt connues tantôt pas : où est ta liberté, quelles sont tes contraintes ? C’est peut-être la volonté égocentrique d’élargir l’espace de ma propre liberté, de dépasser mes propres limites et ainsi de pouvoir enlever les bornes que j’apercevrai grâce à leurs témoignages. Un moment d’Histoire écrite avec le grand H est important, mais ce n’est qu’un moment. Dans la vie quotidienne ce qui est fortement présent, c’est la grisaille d’une vie remplie de contraintes et encore plus, de servitudes.
Et sur ce fond terrible, comme le miracle d’un arc en ciel tendu entre les collines de la vie, il apparaît, dans notre esprit, l’idée de LIBERTÉ.
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