Le carrousel des sœurs
Il y a de cela très longtemps, six sœurs vivaient parmi les monts, les forêts, les torrents, les vallées…
Depuis l’aube de leur existence, le soleil déterminait le temps du jour, de la nuit, et celui de l’année. Le temps de la naissance et de la mort.
L’ensemble des êtres vivants, les oiseaux comme les poissons, les animaux comme les plantes semblaient connaître le sens de son existence.
Quant aux sœurs, elles reposaient sans cesse la question. Elles interrogeaient les rayons du soleil, et les brumes légères émanant des marais, l’écume, à la surface du torrent de montagne, et la plume d’oiseau emportée par le vent, les racines noueuses des arbres et des plantes. Elles dérangeaient encore la claire flamme, et les boutons des fleurs parsemés dans les champs, les cristaux de roches et les constellations.
Dans le sifflement du vent, dans les branches,elles cherchaient la réponse martelant leur tourment. La nuit, elles réveillaient la terre. En fin s’éteignirent des étoiles, et se cacha la lune, car le soleil ramassa les rayons et les dissimula derrière l’horizon.
Le vent se tue, les chants et les bruits s’éteignirent, les odeurs s’envolèrent. La terre arrêta de serrer les sœurs contre son sein. Dans le silence, le vide et obscurité, plaisir, la première sœur, remue sans bruit les lèvres : « Ho ! Mes oreilles n’entendent plus le battement de mon cœur, ni tiède ni froid, mon corps ne se tend plus vers l’astre du jour, il ne désire plus la fraîcheur des rosées. Il n’attend plus l’aube d’une nouvelle sensation, ni n’espère l’accomplissement nocturne des obscurs que suscite le jour.
Ho ! Mes sœurs ! Le carillon de vie ne sonne plus en mon corps. »
Sagesse, la deuxième sœur, se fige dans un cri, lèvres ouvertes, bras raidis tout le long de son corps :
« Ho ! Mes sœurs ! La cruche est desséchée, l’eau ne jaillit plus du trou, le feu refuse de brûler le bois mort le four ne fait plus cuire le pain, sous les pas s’effrite la pierre.
Ho ! Sœurs, rien ne demeure, ni le besoins, ni la soif. »
Esprit, la troisième sœur,
Elève ses mains vers le ciel
Mais n’arrive point à toucher
Le firmament – il n’y en a plus
« Ho ! Mes sœurs !
Si les corps célestes n’existent plus,
Le grand esprit est mort.
Si le vol ne dessine plus dans l’air
La figure de la parole unique,
Est-ce que j’existe encore,
Avec la pierre et avec l’arbre ?
Où donc poser les pieds pour prendre son envol ?
Et comment distinguer la graine ?
Immensité comment la concevoir,
Quand en est entouré par le vide absolu ? »
La quatrième sœur, harmonie cherchait d’autres paroles
« Ho mes sœurs !
Comment découvrir la beauté de l’idée ?
Et en quelle époque placer la tendance,
Les symbole des mesures étant effacés,
Et les sabliers privés de leur mouvement ?
L’accomplissement peut-il avoir lieu ?
Dans le Non-être ?
Et les mots retrouveront-il leur forme dans l’’abime ?
Ho mes sœurs !
Comment réprouver excellence de l’être ?
Si l’on ne peut plus rien ressentir ? »
La cinquième sœur, Raison dans un dernier sursaut
Oblige son esprit à l’ultime effort
« Ho mes sœurs !
J’ai perdu la logique.
Je ne sais plus si je vis, si je pense encore.
Suis-je toujours, ou bien ne suis-je plus ?
Est ce que je demeure débout ou par terre étendue ?
Ou se trouve ma droite et ma gauche ?
Où est le monde ?
Est-il situé tout près ou très loin ?
Au centre ou au dehors ?
Ou suis-je ? Où est ma vie ? »
La sixième sœur Communauté, en vain tourne en rond.
En vain ses mains tâtonnent l’espace au tour d’elle
À la recherche de la chaleur des autres.
Elles n’en trouveront point.
Et ne découvriront aucun être à secourir,
La langue ne retrouvera jamais la parole.
Les longs siècles passèrent ainsi et durait la souffrance des sœurs,Quand enfin, fatigué de leur gémissement, de ses entrailles
La nuit fit sortir la septième sœur qu’elle nomma Plénitude.
Ravi à sa vue le soleil rendit au monde ses couleurs.
Prosternée à ses pieds la terre rappela les vallées, les collines boisées et les prairies.
Les autres sœurs mènent au tour d’elle un ronde folle
En chantent les louanges de la nouvelle née.
Chacune y voit le reflet de sa propre beauté,
Chacune choisit les mots adéquats afin de nommer le miracle.
L’écho transforme leur chant d’admiration en trémolo, murmure, bruissement, clapotis, tonnerre jusqu’a confins du monde porte ses cris rauques :
« Plénitude, plénitude, plénitude ».
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